En Afrique, et particulièrement au Sénégal et en Guinée d'où je suis originaire, la danse et le djembé sont deux expressions artistiques indissociables. Leur relation va bien au-delà d'une simple coexistence : c'est une véritable symbiose, un dialogue profond et codifié qui raconte des histoires, transmet des traditions et exprime l'âme même des communautés. Dans cet article, je souhaite partager avec vous cette relation sacrée telle que je l'enseigne à Essaouira.
"Quand le djembé parle, le corps répond. Quand le corps s'exprime, le djembé l'accompagne. C'est une conversation ancestrale qui se poursuit depuis des siècles."
L'unité originelle entre le son et le mouvement
Dans la pensée traditionnelle africaine, la séparation entre musique et danse n'existe pas vraiment. Le mot même qui désigne la musique dans de nombreuses langues africaines englobe aussi le concept de danse. Par exemple, en malinké et en wolof (mes langues maternelles), les mots qui désignent la musique font simultanément référence au mouvement et à la danse.
Cette conception holistique reflète une vision du monde où le son et le mouvement sont considérés comme deux manifestations d'une même énergie vitale. À Essaouira, j'essaie de transmettre cette vision à mes élèves, en leur expliquant que lorsqu'ils dansent sur le djembé, ils ne réagissent pas simplement à un stimulus sonore : ils participent à un acte de création collective.
Le saviez-vous ?
Dans la tradition mandingue, on dit que le djembé est né de la danse. Selon les anciens, c'est en observant les mouvements des danseurs que les premiers joueurs de djembé ont créé leurs rythmes, cherchant à traduire en sons l'énergie et la fluidité du corps.
Le langage codifié entre percussionnistes et danseurs
Dans les traditions d'Afrique de l'Ouest, la relation entre danseurs et percussionnistes fonctionne selon un système de communication sophistiqué. Ce n'est pas le danseur qui suit le rythme du djembé, ni le percussionniste qui s'adapte aux mouvements du danseur : c'est un véritable dialogue où chacun répond à l'autre.
Les signaux du maître percussionniste
Le lead djembéfola (joueur principal de djembé) utilise des phrases rythmiques spécifiques pour guider les danseurs. Ces phrases, appelées "appels" ou "breaks", servent à :
- Signaler le début d'une séquence de danse
- Indiquer un changement d'intensité ou de mouvement
- Marquer une transition vers un autre rythme
- Accompagner un solo de danse
- Annoncer la fin d'une séquence
À Essaouira, lors de mes cours combinés de danse et percussion, j'insiste particulièrement sur la reconnaissance de ces signaux. Les élèves apprennent à "écouter" le djembé avec leur corps, à identifier ces phrases clés et à y répondre de manière appropriée.
Les réponses des danseurs
De leur côté, les danseurs communiquent également avec les percussionnistes. Par leurs mouvements, ils peuvent :
- Demander une accélération ou un ralentissement du tempo
- Suggérer une intensification de l'énergie
- Signaler qu'ils sont prêts pour un solo
- Indiquer la fin de leur intervention
Ce langage corporel est parfaitement compris par les percussionnistes expérimentés, qui adaptent leur jeu en conséquence. C'est cette interaction constante qui donne vie et spontanéité aux performances.
Les rythmes et leurs danses associées
Dans la tradition ouest-africaine, chaque rythme de djembé est associé à une danse spécifique, avec ses propres mouvements, sa propre énergie et sa propre signification. Voici quelques exemples de ces associations :
Rythme | Origine | Danse associée | Caractéristiques |
---|---|---|---|
Kuku | Guinée forestière | Danse de la pêche | Mouvements fluides et ondulants évoquant l'eau et les filets de pêche |
Soli | Région mandingue | Danse des circoncisions | Mouvements rapides et athlétiques, démontrant force et courage |
Dununba | Haute-Guinée | Danse des hommes forts | Mouvements puissants, sauts impressionnants, démonstration de force |
Mendiani | Guinée | Danse des vierges | Mouvements gracieux et délicats, mettant en valeur la féminité |
Sunu | Sénégal | Danse de séduction | Ondulations des hanches, mouvements sensuels et expressifs |
À Essaouira, dans mes cours, j'enseigne ces danses traditionnelles en expliquant leur contexte culturel et leur signification. Je trouve qu'il est essentiel de comprendre pourquoi on danse d'une certaine façon pour vraiment s'approprier les mouvements.
La dimension spirituelle et communautaire
Au-delà de leur aspect artistique, la danse et le djembé ont une dimension spirituelle et sociale profonde dans les cultures africaines. Ensemble, ils créent un espace où :
La communion avec les forces invisibles
Dans de nombreuses traditions africaines, la combinaison de certains rythmes et mouvements de danse est considérée comme un moyen d'entrer en communication avec le monde spirituel. Les vibrations du djembé, amplifiées par l'énergie collective des danseurs, créent une atmosphère propice à la transe et à l'élévation spirituelle.
Même si à Essaouira, dans un contexte d'enseignement, cette dimension est moins présente, je tiens à sensibiliser mes élèves à cet aspect sacré. Comprendre que, traditionnellement, jouer du djembé et danser n'était pas simplement un divertissement mais un acte de communion avec quelque chose de plus grand que soi.
Le renforcement des liens communautaires
Les cérémonies où le djembé et la danse sont présents sont des moments privilégiés de cohésion sociale. Qu'il s'agisse de célébrer une naissance, de marquer un passage à l'âge adulte, d'honorer les ancêtres ou simplement de se réjouir d'une bonne récolte, ces événements renforcent les liens entre les membres de la communauté.
En dansant ensemble sur les mêmes rythmes, les individus dépassent leurs différences et se reconnectent à leur identité collective. C'est une expérience que j'essaie de recréer dans mes ateliers collectifs à Essaouira, où des personnes d'horizons divers se retrouvent unies par le rythme et le mouvement.
"Le djembé rassemble, la danse unit. Ensemble, ils créent un cercle où chacun trouve sa place et où la communauté se régénère."
L'apprentissage simultané de la danse et du djembé
Fort de mon expérience de percussionniste et danseur, je suis convaincu que l'apprentissage de la danse africaine et du djembé devrait idéalement se faire en parallèle. Voici pourquoi :
Les bénéfices pour les percussionnistes
Pour un joueur de djembé, comprendre et pratiquer la danse apporte de nombreux avantages :
- Meilleure intériorisation des rythmes : en incarnant physiquement les patterns rythmiques, le percussionniste les assimile plus profondément
- Sensibilité accrue à l'énergie : l'expérience de la danse permet de mieux ressentir les nuances énergétiques d'un rythme
- Compréhension des besoins des danseurs : savoir ce que ressent un danseur permet de mieux l'accompagner
- Amélioration du phrasé : la connaissance des mouvements aide à construire des phrases rythmiques plus adaptées
Dans mes cours de djembé à Essaouira, j'intègre toujours des moments où les élèves se lèvent et expérimentent avec leur corps les rythmes qu'ils viennent d'apprendre. Même les plus réticents finissent par reconnaître les bénéfices de cette approche.
Les bénéfices pour les danseurs
De même, pour un danseur, avoir des notions de percussion présente plusieurs avantages :
- Meilleure compréhension de la structure rythmique : savoir comment un rythme est construit permet de mieux s'y inscrire
- Anticipation des changements : reconnaître les signaux des percussionnistes permet d'être plus réactif
- Conscience accrue du tempo : l'expérience du jeu instrumental développe une horloge interne plus précise
- Expression plus nuancée : comprendre les subtilités du rythme permet une interprétation plus riche
"Avant de suivre les cours d'Alpha à Essaouira, je pratiquais la danse africaine depuis plusieurs années, mais quelque chose me manquait. Quand j'ai commencé à apprendre les bases du djembé, ma façon de danser a complètement changé. Je ne 'suivais' plus simplement le rythme, je 'dialoguais' avec lui. C'était comme si une nouvelle dimension s'était ouverte." - Sofia, 32 ans
La fusion contemporaine à Essaouira
À Essaouira, avec son histoire multiculturelle et sa tradition d'ouverture, est un terrain particulièrement fertile pour explorer de nouvelles formes d'expression mêlant djembé et danse. En tant qu'artiste sénégalo-guinéen établi dans cette ville côtière marocaine, j'ai eu l'occasion d'observer et de participer à des rencontres fascinantes entre :
- Les rythmes traditionnels sénégalo-guinéens et les mouvements de danse gnaoua
- Les percussions d'Afrique de l'Ouest et les danses berbères
- Le djembé et les expressions contemporaines comme le hip-hop ou la danse moderne
Ces expériences m'ont convaincu que le dialogue entre danse et percussion, loin d'être figé dans une tradition immuable, est un espace vivant de création et d'innovation. À travers mes cours et performances à Essaouira, je cherche à honorer l'héritage traditionnel tout en explorant ces nouvelles possibilités.
Participer à cette tradition vivante à Essaouira
Si cet article a éveillé votre curiosité et votre intérêt pour le lien entre la danse et le djembé, sachez que vous pouvez vous aussi faire l'expérience de cette relation sacrée :
Mes cours et ateliers
À Essaouira, je propose plusieurs formats qui permettent d'explorer cette relation :
- Cours combinés : alternant moments de percussion et moments de danse
- Ateliers "Comprendre la danse par le djembé" : destinés aux percussionnistes souhaitant enrichir leur jeu
- Ateliers "Danser avec le djembé" : pour les danseurs voulant approfondir leur compréhension des rythmes
- Stages intensifs : immersions de plusieurs jours dans l'univers de la danse et de la percussion africaines
Ces différentes formules sont accessibles à tous les niveaux, des débutants complets aux pratiquants confirmés. L'essentiel est d'aborder cet apprentissage avec ouverture d'esprit et enthousiasme.
Invitation spéciale
Chaque dernier samedi du mois, j'organise une "Jam Session Afro" dans un espace en plein air à Essaouira. C'est l'occasion pour les danseurs et percussionnistes de tous niveaux de se rencontrer et d'expérimenter ensemble dans un cadre informel et bienveillant. Aucune inscription préalable n'est nécessaire, venez simplement avec votre énergie et votre envie de partager !
Conclusion : préserver et transmettre
Le lien sacré entre la danse et le djembé est un trésor culturel qui mérite d'être préservé et partagé. En Afrique, cette relation a évolué au fil des siècles, s'adaptant aux changements sociaux tout en conservant son essence. Aujourd'hui, à Essaouira comme ailleurs dans le monde, de nouvelles générations découvrent la puissance de cette expression artistique et spirituelle.
En tant que gardien de cette tradition, je considère qu'il est de ma responsabilité non seulement de la transmettre dans sa forme la plus authentique, mais aussi de l'aider à rester vivante et pertinente dans le monde contemporain. C'est pourquoi j'invite chacun à venir explorer ce dialogue millénaire entre le corps et le rythme, à en faire l'expérience personnelle et à contribuer, à sa manière, à sa perpétuation.
Que vous soyez attiré par l'aspect physique, musical, culturel ou spirituel de cette pratique, il y a une place pour vous dans le cercle. Car comme on dit au Sénégal et en Guinée : "Le cercle de danse n'est jamais complet, il reste toujours un espace pour celui qui veut le rejoindre."